Histoire détaillée de Bouchet

Une histoire détaillée de Bouchet



Les leçons d’histoire sur Bouchet apportent des informations générales sur la société médiévale, informations que nous avons souhaité compléter dans le cadre de l’itinéraire de découverte par des recherches plus approfondies et par l’observation des vestiges matériels.
Le professeur d’histoire B. Guillaume est l’auteur de ce texte plus détaillé, mis en forme, illustré et intégré au site internet du collège Do Mistrau de Suze-la-Rousse par les élèves de la classe de 5e3. Ce travail réalisé en salle informatique a demandé beaucoup de patience et a fait appel à de nombreuses compétences extérieures que nous remercions ici.
Nous voulons montrer ici que l’étude approfondie d’un vieux village relativement bien conservé et doté de vestiges d’une abbaye remarquable, monument relativement peu fréquent et tout proche de notre établissement scolaire permet d’aborder l’essentiel du programme d’histoire concernant la chrétienté médiévale.


1) La fondation de l'abbaye et son contexe historique

L’abbaye cistercienne de femmes de Bouchet a été fondée au XIIe s. probablement par un membre de la famille des Baux, princes d’Orange (première mention 1184). Elle reçoit de la part de l’aristocratie locale et régionale des dons financiers importants qui contribuent à son développement.

 

 

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Face sud du dortoir

(1er étage)

 

 

Cette fondation suit de peu celle de l’abbaye cistercienne masculine d’Aiguebelle, (1138) dont elle dépend sur le plan spirituel. En effet, la réforme de la règle bénédictine prônée par saint Bernard de Clairvaux à Cîteaux entraîne un renouveau de l’essor monastique durant le XIIe s., favorisé par les familles aristocratiques locales

A Bouchet, comme dans les autres abbayes de moniales cisterciennes, le service religieux et l’administration des biens temporels sont assurés par plusieurs moines et des convers c’est-à-dire des religieux non prêtres chargés de tâches matérielles pour la communauté. L’abbaye de Bouchet, tout en restant autonome sur le plan féodal sous l’autorité de son abbesse, est soumise à l’autorité ecclésiastique de l’abbé d’Aiguebelle.


2) L’évolution de l’abbaye et de la communauté

Bertrand de Garrigue, compagnon de saint Dominique est mort à Bouchet en 1230.

 

vue_calvaire_St_B.jpg Vue du calvaire

 

 

 

Sa tombe devient un lieu d’un pèlerinage qui attire une forte affluence religieuse. L’abbé d’Aiguebelle cherche alors à protéger la sérénité des moniales en les isolant des pèlerins.
De précieux documents historiques donnent les listes des moniales pour les années 1239, 1250 et 1348. La communauté de religieuses s’avère importante au XIIIe s. Le recrutement se fait dans les familles des chevaliers de la région. En 1239, l’abbaye compte 16 moniales et deux soeurs (« sorores » en latin) et au moins 4 convers, en 1250, 28 moniales et 21 en 1348. A cette date, selon l’historien de l’abbaye d’Aiguebelle, Jean de la Croix-Bouton, l’abbaye de Bouchet demeure prospère.
Mais en 1375, le lieu n’est plus habitable. A la fin au XIVe siècle, l’abbaye étant presque ruinée et dévastée à causes des ravages de la Peste Noire du milieu du XIVe s. et des guerres. Les moniales cherchent un refuge et la sécurité ailleurs. Bouchet est devenu indéfendable des bandes de pillards et des hommes armés des routiers (les Grandes Compagnies) qui sèment la terreur sur leur chemin pendant la guerre de Cent ans.
Le déclin final date du XVe s avec une communauté réduite à 3 à 5 religieuses. En 1403 les cisterciennes s’installent à Visan une ville solidement fortifiée.

En 1413, le chapitre général de Cîteaux décide d’unir l’abbaye bousquetaine à celle d’Aiguebelle décision confirmée en 1443. Les moniales sont remplacées par les moines. En 1440-1441, la situation est guère brillante pour l’abbaye de Bouchet : la communauté est réduite à 5 moines et à quelques frères convers. Leur nombre diminue ensuite, 3 ou 4 moines en 1463.

 

 

Une vieille maison du bourg

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En 1443, Jean d’Urre, abbé d’Aiguebelle, appréciant les difficultés d’entretien et de surveillance du monastère décide, avec l’accord de sa hiérarchie, d’y installer des laïcs. Il contracte une emphythéose (un bail) des bâtiments de Bouchet avec trois familles d’Auvergne, où sont exceptés l’église et le dortoir pour lequel les fermiers ont l’obligation d’entretien. Nous comprenons ainsi l’origine du toponyme de la place des Auvergnats située au cœur du village actuel de Bouchet. En 1445 deux autres familles viennent s’installer de la même manière.

 

 

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Décor dans l'abbaye

Détail d'un plafond de l'abbaye

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1476 marque l’union du monastère de Bouchet au collège du Roure d’Avignon réalisée par Jean de la Rovère (le futur pape Jules II). Bouchet devient une annexe de ce collège de théologie et ne dépend plus de l’abbaye d’Aiguebelle.



3) Les seigneurs de Bouchet

Le territoire de Bouchet appartenait au diocèse de Saint-Paul-Trois-Châteaux, possession du comte de Toulouse à partir de 1125. En 1259, l’abbesse de Bouchet, Feydite, reconnaît tenir le château de l’Estagnol, son domaine et ses appartenances en fief d’Alphonse de Poitiers, fils cadet du roi de France, qui a soumis ce comte puissant à l’issue de la croisade contre les Albigeois (traîté de Paris de 1229). L’abbesse est tenue de verser chaque année en la fête de Saint Michel, une obole d’or.
En 1274, le roi de France Philippe III le Hardi cède les dépendances du comté de Toulouse situées à l’est du Rhône, au pape Grégoire X (1271-1276), Bouchet est alors réuni au Comtat Venaissin. Le 6 juin 1434, l’abbé d’Aiguebelle, Josserand de Villas, prête hommage au recteur du Comtat, Roger de Foix, représentant du pape, pour le monastère de Bouchet. Son territoire et celui de l’Estagnol sont placés sous la protection du pape. En 1451, l’abbé renouvelle l’hommage.
Le Comtat devient en 1791 une terre française. Retenons que Bouchet est restée pendant longtemps hors de France.


4) L’étude archéologique des bâtiments religieux

La porterie de l’abbaye se trouvait à l’angle sud-est face au bief du moulin et à côté de la rivière de l’Hérein. Elle a été détruite.
L’église, d’assez grandes dimensions, a dû être partiellement reconstruite au XVIIe s.

 

 

 Face sud de l'église

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 Porte de l'église

 

 

Les parties romanes se trouvent dans le croisillon sud du transept et dans l’abside. A l’extérieur du bâtiment actuel, les vestiges d’une travée et d’un départ d’arc montrent que la nef a été raccourcie de 9 m. Un passage aujourd’hui muré se trouvait au 2e niveau, reliait le dortoir à l’église et donnait sur une tribune toujours en place.

 

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 Passage abbaye-église

 


 

L’éclairage naturel de l’édifice est faible. Du côté du chevet souligné par de remarquables éléments de corniche, nous distinguons l’ouverture centrale axiale avec sa reprise ainsi qu’une deuxième ouverture au sud postérieure à l’édifice roman primitif. Située à quelques mètres la croix de Saint Bertrand de Garrigue indique son décès le 18 avril 1230.

Quant au monastère lui-même bien conservé, le premier niveau (le rez-de-chaussée) est attribué à un cellier et au réfectoire marqué par une voûte brisée renforcée d’arcs-doubleaux.

 

 

 Entrée de l'abbaye

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La construction est soignée comme l’est d’ailleurs le premier étage, le dortoir.

 

 

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 Fenêtre bouchée de l'abbaye

 Une cellule  cellule2.jpg

 

 

Nous pouvons reconstituer celui-ci sur 27 m. Cela correspond à 20 cellules. Mais des éléments romans se trouvent plus à l’ouest dans le prolongement de l’aile, tels que des ouvertures dont une visible sur la face extérieure nord de l’abbaye au deuxième niveau à l’ouest.

Toute l’aile serait aménagée pour 32 cellules, puis elle aurait été réduite d’une travée.
Les cellules pratiquées dans l’épaisseur du mur, mesurent 2 m. de long et de 1,1 m de largeur. La plupart des fenêtres, réduites à l’origine, sont agrandies. La voûte brisée du dortoir repose sur des contreforts intérieurs. Là encore, l’appareil de la construction est remarquablement soigné.

 

 

 Chapiteau du dortoir

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Les bâtiments ont été abandonnés au XVIe s. Une industrie textile pour la fabrication de la soie s’y installe jusqu’en 1972.
Une question demeure : les maisons du bourg ont-ils pris la place d’anciens bâtiments abbatiaux ou ceux-ci (comme le cloître) n’ont-ils jamais existé ?


5) Le village de Bouchet et la population

Les anciens noms latins de Bouchet tels que « Boschetum », « bosquetum » nous indiquent que le lieu était couvert de bois (boscus en latin).
Au XIIe s. le village n’existe pas. En 1223, l’abbesse achète des terres agricoles à l’évêque d’Orange comprenant des près, des vignes, des bois, et d’autres terres, une vache. Au XIVe s., les textes indiquent que l’abbaye possède des champs, des troupeaux de bêtes.
Comme nous l’avons déjà expliqué, cinq familles sont installées à Bouchet entre 1443 et 1445 sur le domaine de l’abbaye, domaine qui devait être convoité pour ses richesses foncières et agricoles. L’abbaye cistercienne a donc donné naissance après sa disparition à un petit village protégé d’un rempart en 1760 d’après un texte examiné par A. Lacroix. Deux tours représentées sur le cadastre napoléonien défendent le côté est. On peut concevoir que le canal du moulin et la rivière de l’Hérein forment deux fossés naturels au-delà de porterie détruite en 1870.

 

 Vestige du canal du moulin

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Au centre du bourg, se trouvait un remarquable beffroi détruit au XXe s..

 

 L'ancien beffroi

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Dans le bourg monastique, des communs ou des dépendances abbatiaux sont conservés jusqu’à une époque relativement récente à des fins utilitaires : le four, le moulin, la boulangerie. Les gens cuisaient leur pain dans le four banal situé place des Auvergnats. En 1974-1975, une grande partie des vieilles constructions est détruite.

Les maisons villageoises aux fenêtres à meneaux ou à simples traverses semblent avoir été construites par les emphytéotes au XVe ou au XVIe s. à l’emplacement présumé des ailes méridionales ou orientales de l’abbaye.

Les textes évoquent des inondations catastrophiques pour le village et le territoire en 1339 et 1402.

Un litige oppose en 1347 l’abbesse de Bouchet, Alayse de Taulignan, et le seigneur de Suze, Amiel des Baux. Le seigneur prétend avoir des droits sur les territoires de Bouchet et de l’Estagnol et en profite pour capter les eaux du Lez et de l’Hérein par des écluses pour alimenter en eau le canal de son moulin. Les religieuses revendiquent la propriété des eaux et le droit d’établir des écluses. Le problème est résolu en 1348 par une décision arbitrale prise par l’évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux et le seigneur de Rochefort. Les écluses du Lez et de l’Hérein sont conservées. Elles doivent être réparées et leur nombre est limité. Le seigneur de Suze doit payer une taxe annuelle à l’abbaye de Bouchet.


Conclusion

Même si le patrimoine de Bouchet a souffert de destructions au XXe s., nous pouvons nous réjouir des vestiges bien conservés de l’abbaye cistercienne du XIIIe s. qui demeure une originalité et une opportunité. Ce patrimoine, racheté récemment par la commune de Bouchet est sauvegardé. Il permet de comprendre avec les anciennes maisons de bourg d’aborder et de présenter dans de bonnes conditions la société médiévale et en particulier l’Eglise. L’étude archéologique des paysages et l’analyse des textes donnent une lecture satisfaisante de la condition de vie des paysans à Bouchet.
Ce travail, espérons-le, n’est qu’une pierre à apporter à un édifice qui demande à être bâti, en témoignent les nombreux vestiges et ressources patrimoniales disponible sur l’histoire de Bouchet.

Les élèves de 5e3 et leur professeur d’histoire B. Guillaume


Sources
- CROIX BOUTON (Jean de la) et FRANCEY (Marcel), L’abbaye de Bouchet en Tricatin, 1974
- Notes de recherches et renseignements de Michèle BOIS archéologue de l'association Archéo-Drôme
- Renseignements et photographies de cartes postales de Max FESCHET Maire de Bouchet
- Renseignements de Mme BERTRAND de l'Association Bousquetaine Culturelle.

Publié le 03/09/2018
Modifié le 03/09/2018